Saramani, princesse et danseuse | Saramani, A Princess and A Dancer
by Titaÿna
Way before Princess Buppha Devi's reinvention of the Royal Ballet of Cambodia, a premonition of the "Apsara Princess" figure so central in Cambodia's modernity.
Publication: Marie-Claire, Paris, 9 July 1937, p 30 | via gallica.fr | ADB Document
Published: July 9th, 1937
Author: Titaÿna
Pages: 1
Language : French
“Une histoire vraie par Titaÿna¨, A Real Story Told By Titayna: this is how the daredevil and free-spirited reporter presented to the legendary women’s magazine (Marie-Claire had been launched only five months earlier, in March 1937) readers the story of Suzanne Meyer (1913−1942) [here called Solange for some unknown reason], daughter of author Roland Meyer and the larger-than-life Saramani, ballerina of the Royal Ballet of Cambodia in the 1910s-1920s.
[This reference was pointed to us by Lucie Labbé’s publication, 9“Saramani, danseuse exotique. Note sur Suzanne Meyer (1913−1942), fille de Roland Meyer et Saramani” (Péninsule n 83(2), 2021, pp 171 – 88).]9
“Le sampan, qui glIssait le long du Me-Kong, halé dans les rapides par des hommes nus surgis de la brousse, abritait une famille très nombreuse. En saison des pluies, la chaleur est lourde au Cambodge, et, à l’époque où se place le début de cette histoire, l’absence de route et de chemin privait de nourriture les populations isolées par les eaux. Parmi les enfants qui vivaient une partie de l’année sur le sampan, une petite fille de six ans avait réussi à attirer sur elle l’attention de sa famille, quoique étant une fille.
Un jour, avec des terres ocres, des charbons brûles et du rouge pris aux fleurs d’hibiscus, elle s’était maquillée telle une déesse de conte de fées et s’était mise à imiter les pas de danse qu’elle avait vus lors de la fête du village. De ce jour, son père éprouvait une certaine fierté à la montrer à ses amis et décida que, si le Ciel le permettait, il en ferait une çlanseuse royale. A quelque temps de là, l’eau du fleuve monta, les pluies redoublèrent de force et les rives d’argile sur lesquelles étaient plantées les cases des pêcheurs furent emportées par le courant. Le sampan fut emporté avec rapidité, comme un tronc d’arbre, pour aller se briser à demi dans un tournant.
Ce fut là qu’un homme vêtu de soie recueillit la famille à bord de son bateau ancré avec sûreté un peu plus loin et consentit à emmener ses protégés à Kompong-Phi. Là résidait un oncle éloigné dont la famille évoquait le nom avec respect, car il était premier ministre, le plus grand mandarin du royaume. L’oncle se montra grand seigneur avec ses parents et proposa de s’occuper de la petite fille si elle voulait devenir une danseuse. L’enfant travaillait avec tant d’ardeur, son corps se mouvait avec tant de liberté dans les pas les plus compliqués, que, très vite, elle devint capable d’exécuter les rites qui demandent des années d’études.
La vie était belle et s’ouvrait devant Saramani avec tant de promesses qu’elle pouvait tout en espérer. Ce fut à ce moment que l’oncle mourut, que sa fortune fut divisée et que le corps de ballet qu’il possédait fut dispersé. En quête d’une situation, le père de la jeune danseuse obtient le poste de chef des lecteurs royaux. Il présenta sa fille au roi Zavanakast, qui lui donne trois barres d’argent et la confie à la première maîtresse du corps de ballet. Saramani a des chances de devenir un jour danseuse royale.
L’enfant, favorite du roi, est redoutée de ses compagnons qui craignent ses moqueries, ses espiègleries et ses critiques. Quelques unes la croient méchante alors qu’elle est seulement espiègle. D’ailleurs, tout cela importe peu à l’enfant qui né vit que d’ambition. En son coeur elle est jalouse des grandes danseuses qui ont seize ans et jouent les premiers rôles du répertoire.
Un an après, le roi, qu’elle aimait comme un père, mourait. Ce fut le frère du roi, qui habitait un palais au nord du pays, qui recueillit l’héritage du palais royal. C’était un homme brutal et vulgaire, qui nomma sa fille, la princesse Van-Thida, maîtresse de ballet. La princesse s’enivrait chaque jour, fumait comme un sampannier. Vivre dans cette cour débauchée est un désespoir pour Saramani et pour son amie, la danseuse Ronn. Serrées l’une contre l’autre la nuit elles pleurent longuement dans les bras l’une de l’autre et né peuvent se résigner. Une nuit toutes deux décident de fuir ensemble.
Où peuvent-elles se réfugier? Deux ou trois ans auparavant était apparu à la cour du Cambodge un étrange bonze dont le visage ressemblait à celui des hommes d’Occident. Cet ancien bonze, qui habite aujourd’hui Paris, s’appelle Komlah Meyer. A seize ans, envoyé en Indochine dans le cadre des fonctionnaires du gouvernement français, il avait été tellement séduit par la religion cambodgienne qu’il s’était converti, avait rasé sa tête et revêtu la tunique de soie jaune des prêtres khmers. A ce titre, il vivait dans le palais où il avait vu danser Saramani.
Elle lui était apparue le torse nu, la tête couverte d’une tiare d’or. La beauté du corps de l’adolescente l’avait frappé au point que, dans son esprit, il confondait maintenant sa foi et son amour. Quand les deux amies décidèrent de fuir, Saramani, qui comprenait l’amour qu’elle avait inspiré, suggéra : « Si nous allions chez le Français? »
Quelques jours plus tard, le jeune garçon de dix-huit ans et la jeune fille de treize fuyaient ensemble à travers la forêt, ayant abandonné le roi, l’amie qui né vivait que de sa tendresse, les serments faits aux dieux et les lois. Ils oubliaient tout ce qui n’était pas eux. Pendant ce temps, le roi lançait des émissaires à travers la forêt pour retrouver les fugitifs et les condamner à mort. Mais ceux-ci, épuisés de fatigue, arrivèrent à un poste français, se placèrent sous la protection du résident de France et s’épousèrent suivant la loi cambodgienne. Un an après naissait une petite fille.
— Elle s’appellera comme moi : Saramani, dit la mère. — Elle s’appellera Solange Meyer, dit le père, car elle portera mon nom. Tous deux, pleins d’amour, se penchent sur le berceau où le bébé souriait aux anges.
Pour vivre, Meyer et Saramani menaient la vie de paysans. Ils cultivaient la terre, élevaient quelques boeufs, cueillaient des fruits et mangeaient du riz. La vie était si belle pour eux qu’elle semblait devoir durer toujours. Malheureusement, ils n’étaient pas maîtres de leur destinée : quatre ans plus tard, entre eux deux l’amour était mort. Saramani comprit la nostalgie de son époux. Pour lui permettre de retourner en France, elle vendit ses derniers bijoux et s’endetta.
A partir du moment où il eut pris le bateau qui, par l’océan Indien, la mer Rouge et la Méditerranée, devait le reconduire à Marseille, la jeune Cambodgienne attendit son retour. Ce fut en vain. Elle né reçut ni lettres ni nouvelles et lorsque, dans une épidémie de peste, elle fut terrassée par le mal, elle mourut en demandant pardon à son dieu de l’erreur qu’elle avait commise et dont elle acceptait le châtiment…
Le bébé fut recueilli et envoyé en France. C est pour vous parler de ce bébé que je vous ai conté toute cette histoire. Ce bébé a aujourd’hui vingt ans. C’est une jeune fille longue et mince dont le corps est d’une beauté sans défaut. Comme sa mère à qui elle ressemble, elle s’appelle Saramani. Pourtant, son passeport porte le nom plus banal de Solange Meyer.
Jusqu’à maintenant, la vie lui a été si dure et si chargée d’épreuves que ses yeux, légèrement bridés, en ont gardé une détresse, mais c’est un besoin de gaîté que cache sa mélancolie. Je sais aussi la sensibilité qu’elle dissimule sous une apparente brusquerie. Saramani est danseuse. Sa danse est toute sa vie. Quand elle retrouve les rythmes et les mouvements pour lesquels sont créés son visage et son corps, elle se transfigure, illuminée. Elle se priverait de manger pour pouvoir payer une fois de plus l’accompagnateur qui lui permet de travailler. Elle est sans doute aujourd’hui la plus grande danseuse d’Extrême-Orient.
Ni elle ni moi ni personne né peut préjuger ce que l’avenir lui réserve. Le talent et la réussite né se rencontrent pas toujours. Pourtant, je crois que les rêves de gloire que Saramani, première danseuse du roi, a légués à sa fille Saramani. ieune fille française, se réaliseront un jour. TITAYNA.”
[English translation to come]
Tags: Royal Ballet of Cambodia, apsara, dance, dancers, French Protectorate, literature, novels
About the Author
Titaÿna
Titaÿna, pen-name of Elisabeth Sauvy or Sauvy-Tisseyre (22 Nov. 1897, Mas Richemont, Villeneuve-de-la-Raho, France — 13 Oct 1966, San Francisco, USA) was a French aviatress, reporter at large, photographer, known as the ‘Queen of Tout-Paris’ in the 1920s-1930s.
Early divorced from her first husband, the indefatigable traveler started to fly airplanes in her youth, and went to Japan to be part of the entourage of Japanese Princess Fusako Kitashirakawa. After surving a deadly car crash, she was granted a life pension which allowed to travel around the world, often flying her own airplane. Writing for prestigious French publications such as Vu, Voilà, L’Intransigeant, Paris-Soir, she interviewed worldwide leaders such as Mustafa Kemal, Benito Mussolini, Adolf Hitler, Primo de Rivera or the head of the Corsican insurrection Romanetti.
Her fascination for Cambodia was not limited to her 1928 adventure in Angkor: in Marie Claire (9 July 1937, n 20, tp 30, he famous women’s magazine being only 4 months old), she published ‘Une histoire vraie par Titayna: Saramani, princesse et danseuse’, about Suzanne Meyer, the daughter of Royal Ballet dancer Saramani and author Roland Meyer, who was then a celebrated “exotic dancer“in France. Suzanne-Saramani was to die of privation in occupied Paris in 1942, at age 28.
With her wit and charm, Titayna (a nickname took after after a legendary Catalan female figure) was equalled to notorious reporters such as Pierre Mac Orlan (who penned the preface to her 1925 novel, La bete cabrée), Joseph Kessel, Blaise Cendrars or Albert Londres. Her work as a literary translator commanded author Jean Giono’s admiration. A teenager during World War I, she was to “remember in order to forget”: “1900 était né sur une bicyclette polka. Les voilettes de tulle enveloppaient de leur illusion les adultères d’avant guerre, et les orgues de barbarie donnaient aux provinciales le goût d’amours viennoises. /J’oublie./ Ma première communion eut pour cadre un grand parc de couvent, où durant neuf ans mon mysticisme révolté s’élevait vers les fleurs des vitraux et retombait avec elles sur les reposoirs aux parfums trop violents. /J’oublie./Il y eut une guerre qui bombarda la salle où je « séchais » sur une version de Tite-Live. Ma mère en blanc sentait l’hôpital, mon père fut tué en lisant du grec. J’avais un grand voile de crêpe. Le jazz-band commençait. De la jeunesse qui s’ignore. Un tourbillon grisant comme une noyade. Des soûleries d’exotisme, un voyage rapide en Europe ou en Afrique et plus lointain à Montparnasse. La mort frôlée comme une soeur aimée et contagieuse./J’oublie./ Le règne du simili : faux succès, faux amour, faux regrets, fausses haines./ J’oublie./” [“1900 was born on a polka bicycle. Tulle veils wrapped pre-war adulteries in illusion, and barrel organs gave the provincials the taste of Viennese dalliances. /I forget./ My first communion was set in a large convent park, where for nine years my rebellious mysticism rose towards the flowers of the stained glass windows and fell with them on the altars with too violent perfumes. /I forget./ Then came a war that bombed the room where I “dried off” on a version of Livy. My mother in white smelled like a hospital, my father was killed while reading Greek. I had a large crêpe veil. The jazz band was starting. Unaware youth. An exhilarating whirlwind like drowning. Exotic drunkenness, a quick trip to Europe or Africa and, even further, to Montparnasse. Death brushed past like a beloved and contagious sister./I forget./ The reign of imitation: false success, false love, false regrets, false hatreds./ I forget./”
After the death of brother Pierre Sauvy during the English attack on Mers El-Kébir in 1941, Titayana shifted her political involvment to collaborationist and antisemitic activism, leading to her arrest and after World War II in France. Self-exiled in San Francisco after her second husband’s death, she spent her remaining years with the Italian author and bookseller Giovanni Scopazzi.
Titayna’s writing belongs to the tradition of European travel writers loathing the “civilized world” and yet reluctant to embrace the Rousseauist myth of the ‘bon sauvage’. Libertarian, she writes also as a woman very much aware of the devastation of the patriarcal order. In Loin (1929, Flammarion, Paris), for instance, her potent diary of her travel to Oceania, she writes: “Quand les missionnaires y vinrent, ils firent un immense autodafé de pièces d’art primitif d’un intérêt certain, d’une valeur non moins certaine. Et c’est ce que j’appellerai une mauvaise opération commerciale. Puis, ils mirent les garçons d’un côté dans un internat, les filles d’un autre dans un couvent et séparés les uns des autres par un bras de mer. Comme filles et garçons étaient de beaux animaux, pour qui faire l’amour dans les bois
était plus que naturel, mais nécessaire, ce fut pour le moins une faute d’élevage […] Et l’Océanien, quand j’y songe, a plus de force que toutes les philosophies même chinoises, ils ont inventé ce
boomerang plus efficace qui fait que tout ce qui fait notre désespoir, ce que nous appelons l’amour ou bien les signes de croix, tout ce que nous jetons vers le ciel, ici fait un petit tour en l’air, revient, et l’on n’en parle plus.” [“When the missionaries came there, they made an immense auto-da-fé of pieces of primitive art of doubtless interest, of no less certain value. And that is what I would call a bad commercial operation. Then, they put the boys on one side in a boarding school, the girls on the other in a convent and separated from each other by an arm of the sea. As girls and boys were beautiful animals, for whom making love in the woods was not only natural, but necessary, it was at least a fault of breeding […] And the Oceanian, when I think about it, has more power than all the philosophies, even Chinese, they invented this boomerang more effective which makes everything that causes our despair, what we call love or else the signs of the cross, everything that we throw towards the sky, here takes a little turn in the air, comes back, and we don’t talk about it anymore.”]
Irreverent and snidely sensuous, she could title the second part of that same book ‘A l’ombré des jeunes filles enceintes’, a clearly un-Proustian image complete with the mysterious epigraph: “Ah ! beaux garçons inoccupés…”, and containing a ‘Plaidoyer pour l’anthropophagie’ (A Plea For Anthropophagy). She also noted: “L’Amérique est partie sur un idéal de pure littérature primaire : la Liberté. Vous pouvez en avoir les notions courantes dans tous les manuels. Pour assurer cette liberté, elle a instauré le travail, pour assurer ce travail, elle a tué cette Liberté. Ils en sont actuellement à travailler pour bien manger.” (p 12) [“America started from an ideal completely belonging to basic literature: Liberty. You can get all conventional versions of it in any manual. In order to guarantee that Liberty, America promoted work, and in order to strenghten work she killed that same Liberty. They have reached the point that they are now working only to stuff themselves.”].
Renowned French journalist Joseph Delteil would note in his diary on Dec 15, 1925 : “Vu Titaÿna ; un œil de gazelle dans un corps d’avion. Elle doit faire l’amour avec les palmiers.” [Met Titayna: gazelle eye and airplane body. Surely she makes love to the palm trees.]
Loin, cover (Flammarion, Paris, 1929, 122 p) [note the Star of David floating to the left of the illustration. In Loin, her growing judeophobia led her to write: “C’est une histoire juive que j’ai cueillie pour vous aux îles Gambier : Un jour, Isaac Salomon, qui était peut-être le Juif errant, après avoir franchi monts et plaines, traversa les Océans et débarqua dans les îles du Sud. Là, il vit plonger les jeunes hommes et comment ils trouvaient parfois une perle dans les nacres revendues aux Chinois. Il étudia leurs poids et leurs reflets, leur chair et leur forme et comment le soleil du soir les irise différemment. Mais il né s’installa pas acheteur sur place ; les îles basses semblent radeaux abandonnés et les Juifs préfèrent la fièvre des grandes cités au vent marin. Il repartit et se fit courtier en perles à Monaco, où près des salles de jeu, cette autre plongée, se trouvent des perles à vendre, plus souvent qu’au bord du lagon.” [“Here is a Jewish story that I picked up for you in the Gambier Islands: one day, Isaac Solomon, who was perhaps the Wandering Jew, after passing by mountains and plains, crossed the oceans and landed in the southern islands There he saw the young men diving and how they sometimes found a pearl in the mother-of-pearl later sold to the Chinese. He studied their weights and reflections, their flesh and their form and how the evening sun give them a different iridescence. But he did not settle there to buy the pearls on the spot — the low islands look like abandoned rafts and the Jews prefer the Big City fever to the sea breeze. He left and became a pearl broker in Monaco, where near the gambling halls — this other form of diving -, are pearls for sale more often than on the lagoon shore.”] (p 62) If this rather nasty aparte was an attempt to explain the origin of the name Solomon Islands, it is a total failure: sailors gave that name to the archipelago in reference to the mythical city of Ophir mentioned by King Solomon in the Bible, long after the Spanish navigator Álvaro de Mendaña had been the first European to visit these faraway islands in 1568.]
And a portrait by Man Ray after her return from Indochina and her World Tour in 1928:
See Francois-Xavier Bibert’s documented blog post on ‘Titayna, Gorgeous Adventuress, Reporter and Airplane Pilot’.