Rodin a l'hotel de Biron et a Melun | Rodin at Hotel de Biron and in Melun
by Gustave Coquiot
The last years of Auguste Rodin seen by a close friend and art critic, with the "illumination" brought by the Cambodian dancers to the ageing master in 1906.
Type: e-book
Publisher: Olendorff, Paris.
Edition: digital edition via gallica.bnf.fr
Published: 1916
Author: Gustave Coquiot
Pages: 337
Language : French
ADB Library Catalog ID: eARTROD1
The book opens with a witty description of the origin of Hotel de Biron in Paris, a private mansion erected near the Invalides by Abraham Peyrenc — later Peyrenc de Moras –, a provincial social climber who started his Parisian life as a majordome and seduced the daughter of his rich master. Artist Auguste Rodin (1840−1917) worked and lived for many years on its first floor, even after he moved with companion Rose Beuret (whom he married shortly before her and his deaths).
Yet, these personal reminiscences deal mostly with Rodin’s art, and in particular with his fascination for women dancers. The author has noted down some of Rodin’s remarks on the subject, such as: “Quand la femme danse, l’atmosphère est ravie et lui sert de draperie” [When the woman dances, the air is delighted and serves as a drapery for her], or “La danse est de l’architecture animée”[Dance is architecture in motion]. He also recalled that during a road trip through Spain with Spanish painter Zuloaga, Rodin was deeply moved by “cet émoi des danses de gitanes et ce regret aussi qu’elles né fussent point nues, comme de belles fleurs de chair tournoyantes.” [“the thrill of the gypsy dances and the regret also that they were not naked, like beautiful whirling flowers of flesh.”]
With the encounter of the dancers of the Royal Ballet of Cambodia during their visit in Paris and Marseilles in 1906, the artist is transported from the mere sensual emotion to another level, the awe before something ancient and sacred:
“Rodin, lui qui a chéri tellement le mouvement ! Il convenait de donner, parmi quelques-uns de ses dessins dans ce livre reproduits, une de ces petites gazelles cambodgiennes, danseuses du roi Sisowath, qui l’émerveillèrent, au cours de l’année 1906, et qui furent gratifiées par lui de cette couronne d’hommages (Rodin, les cathédrales de France): “Entre deux pèlerinages à Chartres, j’avais vu les danseuses cambodgiennes ; je les avais assidûment étudiées, à Paris (au Pré Catelan), à Marseille (à la villa des Glycines), le papier sur les genoux et le crayon à la main, émerveillé de leur beauté singulière et du grand caractère de leur danse. Ce qui surtout m’étonnait et me ravissait, c’était de retrouver dans cet art d’Extrême-Orient, inconnu de moi jusqu’alors, les principes mêmes de l’art antique. Devant des fragments de sculpture très anciens, si anciens qu’on né saurait leur assigner une date, la pensée recule en tâtonnant à des milliers d’années vers les origines: et, tout à coup, la nature vivante apparaît, et c’est comme si ces vieilles
pierres venaient de se ranimer ! Tout ce que j’admirais dans les marbres antiques, ces Cambodgiennes me le donnaient, en y ajoutant l’inconnu et la souplesse de l’Extrême-Orient. Quel enchantement de constater l’humanité si fidèle à elle-même à travers l’espace et le temps ! Mais à cette constance il y a une condition essentielle : le sentiment traditionnel et religieux.
“J’ai toujours confondu l’art religieux et l’art: quand la religion se perd, l’art est perdu aussi ; tous les chefs-d’oeuvre grecs, romains, tous les nôtres, sont religieux. En effet, ces danses sont religieuses parce qu’elles sont artistiques ; leur rythme est un rite, et c’est la pureté du rite qui leur assure la pureté du rythme. C’est parce que Sisowath et sa fille Samphondry, directrice du corps de ballet royal, prennent un soin jaloux de conserver à ces danses la plus rigoureuse orthodoxie, qu’elles sont restées belles. La même pensée avait donc sauvegardé l’art à Athènes, à Chartres, au Cambodge, partout, variant seulement par la formule du dogme; encore ces variations, elles-mêmes, s’atténuaient-
elles, grâce à la parenté de la forme et des gestes humains sous toutes les latitudes.
“Comme j’avais reconnu la beauté antique dans les danses du Càmbodge, peu de temps après mon séjour à Marseille, je reconnus la beauté cambodgienne à Chartres, dans l’attitude du Grand Ange, laquelle n’est pas, en effet, très éloignée d’une attitude de danse. L’analogie entre toutes les belles expressions humaines de tous les temps justifie et exalte, chez l’artiste, sa profonde croyance en l’unité de la nature. Les différentes religions, d’accord sur ce point, étaient comme les gardiennes des grandes mimiques harmonieuses, par lesquelles la nature humaine exprime ses joies, ses angoisses, ses certitudes. L’Extrême-Occident et l’Extrême-Orient, dans leurs productions supérieures, qui sont celles où l’artiste exprima l’homme en ce qu’il a d’essentiel, devaient ici se rapprocher.“
Ces petites danseuses cambodgiennes ! Rodin, sa joie prise à dessiner ces charmants animaux, graciles créatures à la souplesse de chattes et parées d’une grâce tout à fait inimitable ! Rappelons-nous leurs jolis gestes si tourbillonnants de caresses ! Leurs bras, leurs cuisses gonflés de toute une vie débordante! Minces gazelles, Rodin a fixé souvent votre image; quelques unes d’entre vous, en vous rehaussant d’aquarelle, telles qu’on vous voit sur les enluminures des vieux manuscrits de l’Orient; minces gazelles nullement gênées par la haute orfèvrerie de votre coiffure, —vos bras levés et arrondis ou vos mains joliment retombantes comme des palmes. Et, nouvelle ivresse encore venue du complexe ajustement doré de vos costumes, de vos pieds si finement recourbés, de vos petites narines battantes, de vos yeux si brillants, de vos mains s’écartant et se posant à plat dans l’air, tandis que l’orchestre rythmait les salutations et les séductions des amoureuses épopées.
Rodin les a‑t-il recherchés, ces mouvements où il y a tant de grâce féline et de voluptueux amour! Cet Amoureux des danses! Ses admirateurs familiers connaissent les chefs-d’oeuvre inspirés encore par le masque de la danseuse
Hanako. Rodin a reculé jusqu’aux dernières limites de la sensation, l’a animée si harmonieusement, si musicalement, que certains se sont mépris, et ont cru se trouver devant un masque de Beethoven. Méprise acceptée : voyez, à Meudon, un buste agrandi d’Hanako, douleur tragique et mutisme farouche!
A miss Loïe Fuller, Rodin apporta également l’offrande de toute sa joie ressentie. Il écrivit : “Toutes les villes où elle a passé et Paris lui sont redevables des émotions les plus pures, elle a réveillé la superbe antiquité. Son talent sera toujours imité maintenant et sa création sera reprise toujours, car elle a semé et des effets et de la lumière et de la mise en scène, toutes choses qui seront étudiées éternellement.” Nul jugement n’apparaît plus équitable. Que d’enchantements, en effet, né nous garde pas encore miss Loïe Fuller, et son école de danse ! Tous les ballets les plus merveilleux, dans la plus complète variété, avec de constantes recherches de lumière, elle qui fut l’inoubliable danseuse du Feu!
Isadora Duncan, autre fleur dansante, soumit également Rodin. Il lui offrit une corbeille de nombreux dessins qui sont d’harmonieuses et rythmiques arabesques, du plus sûr effet décoratif. Les plus rares dessins gravés sur les vases antiques, seuls témoignent de cette joie de mouvement — mouvement bondissant et toujours équilibré, retenu, discipliné par la grâce la plus parfaite. Ah ! de la terre, Rodin aura choisi, avec l’expression la plus vive de la douleur, avec l’inquiétude la plus angoissée devant le mystère, tout ce qu’il y a ainsi, par la danse, de bonheur léger et ingénu. Il aura tout pris de la terre, ce frénétique amoureux de la vie! Du ciel, il en aura, au contraire, toujours redouté l’inexplicable, et c’est cette inquiétude qui le poussa souvent à écarter, devant nous, avec un geste vif, tous les livres et toutes les brochures qui parlent d’astronomie.” (pp120‑5)
[“Rodin, he who cherished movement so much! It was appropriate to give, among some of his drawings in this book reproduced, one of these little Cambodian gazelles, dancers of King Sisowath, which amazed him during the year 1906, and who were awarded by him with this crown of homage (Rodin, the cathedrals of France): “Between two pilgrimages to Chartres, I had seen the Cambodian dancers; I had studied them assiduously, in Paris (at Pré Catelan), in Marseille (at the Villa des Glycines), paper on my knees and pencil in hand, amazed by their singular beauty and the great character of their dance. What above all surprised and delighted me was to find in this Far Eastern art, unknown to me until then, the very principles of ancient art. Faced with very ancient fragments of sculpture, so old that we cannot assign a date to them, thought goes back, groping thousands of years towards the origins: and, suddenly, living nature appears, and it is as if these old stones had just come back to life! Everything I admired in ancient marbles, these Cambodian women gave it to me, adding the unknown and the flexibility of the Far East. What a delight to see humanity so true to itself across space and time! But for this constancy there is an essential condition: traditional and religious feeling.
“I have always confused religious art and art: when religion is lost, art is lost too; all Greek, Roman masterpieces, all ours, are religious. Indeed, these dances are religious because they are artistic; their rhythm is a rite, and it is the purity of the rite which assures them the purity of the rhythm. This is because Sisowath and her daughter Samphondry, director of the royal ballet, take jealous care to preserve the most rigorous orthodoxy in these dances, so that they have remained beautiful. The same thought had therefore safeguarded the art in Athens, in Chartres, in Cambodia, everywhere, varying only by the formula of the dogma; again these variations themselves were attenuated — thanks to the kinship of human form and gestures in all latitudes.
“As I had recognized the ancient beauty in the dances of Cambodia, shortly after my stay in Marseille, I recognized the Cambodian beauty in Chartres, in the attitude of the Great Angel, which is not, in fact, very far from an attitude of dance. The analogy between all the beautiful human expressions of all times justifies and exalts, in the artist, his deep belief in the unity of nature. The different religions, in agreement on this point, were like the guardians of the great harmonious expressions, through which human nature expresses its joys, its anxieties, its certainties. The Far West and the Far East, in their superior productions, which are those where the artist expressed man in what is essential, had to come closer here.“
The little Cambodian dancers! Rodin, his joy taken from drawing these charming animals, graceful creatures with the flexibility of cats and adorned with a completely inimitable grace! Let us remember their pretty gestures so swirling with caresses! Their arms, their thighs swollen with all their overflowing life! Thin gazelles, Rodin often stared at your image; some of you, enhancing yourselves with watercolors, such as we see you on the illuminations of old manuscripts of the East; slim gazelles in no way hampered by the high goldwork of your hairstyle, — your arms raised and rounded or your hands prettily drooping like palm fronds. And, new intoxication still comes from the complex golden adjustment of your costumes, from your feet so finely curved, from your little nostrils flapping, from your eyes so bright, from your hands spreading and laying flat in the air, while that the orchestra punctuated the greetings and seductions of epic lovers.
How did Rodin look for them, these movements where there is so much feline grace and voluptuous love! This lover of dances! Her familiar admirers know the masterpieces still inspired by the dancer’s mask Hanako. Rodin pushed back to the very limits of sensation, animated it so harmoniously, so musically, that some people were mistaken and thought they were facing a mask of Beethoven. Mistake accepted: see, in Meudon, an enlarged bust of Hanako, tragic pain and fierce muteness!
To Miss Loïe Fuller, Rodin also brought the offering of all the joy he felt. He wrote: “All the cities where she passed and Paris are indebted to her for the purest emotions, she awakened superb antiquity. Her talent will always be imitated now and her creation will always be taken up, because she has sown both effects and lighting and staging, all things which will be studied eternally.” No judgment appears more equitable. What enchantments, in fact, still await us from Miss Loïe Fuller, and her dance school! All the most wonderful ballets, in the most complete variety, with constant searches for light, she who was the unforgettable Fire Dancer!
Isadora Duncan, another dancing flower, also subdued Rodin. He offered him a basket of numerous drawings which are harmonious and rhythmic arabesques, with the surest decorative effect. The rarest drawings engraved on antique vases alone bear witness to this joy of movement — leaping movement and always balanced, restrained, disciplined by the most perfect grace. Ah! of the earth, Rodin will have chosen, with the most vivid expression of pain, with the most anguished concern in the face of mystery, all that there is, through dance, of light and ingenuous happiness. He will have taken everything from the earth, this frenzied lover of life! From the sky, on the contrary, he will always have feared the inexplicable, and it is this anxiety which often pushed him to push aside, in front of us, with a quick gesture, all the books and all the brochures which speak of astronomy. ” (pp120‑5)
Fresque en cinq parties (souvenir de voyage) [pp 83 – 5]
La danseuse
I
“Elle part. Elle prend en elle-même ce moment d’orgueil qu’elle déploie, qui est sa marque.
“Comme un cimeterre agité dans l’air jette des éclairs, elle va.
“La draperie la suit, l’enveloppe, la seconde !
II
“Ces redoublements, ces appels du pied, ce balancement et cette provocation, c’est une égide lancée en avant, superbe de plis parallèles.
“La ligne du dos ondule et s’efface comme un serpent irrité.
“Elle se précipite la tête baissée, mais souvent la tête flotte sur les épaules quand elle est fatiguée.
“Cette danse projette des étincelles comme le silex.
III
“C’est un holocauste ; elle offre son courage.
“Pendant qu’elle danse, elle est inondée de lumière.
“Comme le corps parle plus loin que l’esprit !
“Comme cette danse donne à cette prodigieuse petite danseuse une tête étrangement belle, d’une nouvelle beauté devenue mystérieuse et lointaine !
“Oui, cette beauté vient d’autrefois ! Quelle danseuse de génie a créé cette danse?
“Comme dans une fresque, cette danseuse en est l’âme active, l’ondulation.
“Ah ! quel ravissement renouvelé toujours par le caractère de cette danse antique !
IV
“La prodigieuse petite danseuse lance sa draperie, la déploie, la projette en avant ; son dos se profile en perfection.
“Elle se balance, son orgueil recule, elle est presque vaincue.
“Elle reprend position en tournant sur elle-même, se redresse.
“Elle présente un profil, puis l’autre. Elle s’est entourée de son écharpe, son coude en avant.
“Son écharpe l’enveloppe ; la main sur la hanche, elle laisse pendre l’écharpe.
“Les deux mains maintenant à son chapeau, le sourire vainqueur, c’est une cariatide orgueilleuse.
“Ces retours sur elle-même, ce chapeau incliné, cette draperie en croix, elle met enfin toutes ces charmantes choses comme en bataille !
V
“Elle déroule à présent son écharpe et la laisse tomber.
“Puis les bras et l’écharpe passent rapidement, éperdument devant son coeur.
“Les gestes rapides ravissent par leurs redites perpétuelles, incessantes.
“Les gestes en se répétant font des flammes.
“Elle danse !…”
[ Five Panels Fresco (a travel memory) [pp 83 – 5]
The Dancer
I
“She leaves. She takes within herself this moment of pride that she displays, which is her mark.
“As a scimitar waved in the air throws lightning, so goes she.
“The drapery follows her, envelops her, assists her!
II
“These doublings, these secret invitations, this swaying and this provocation, it is an aegis launched forward, superb with parallel folds.
“The line of the back undulates and fades like an angry snake.
“She rushes with her head down, but often her head floats on her shoulders when she is tired.
“This dance throws sparks like flint.
III
“It’s a holocaust; she offers her courage.
“As she dances, she is flooded with light.
“How the body speaks further than the mind!
“How this dance gives this prodigious little dancer a strangely beautiful head, with a new beauty that has become mysterious and distant!
“Yes, this beauty comes from yesteryear! Which genius dancer created this dance?
“As in a fresco, this dancer is the active soul, the undulation.
“Ah! what delight always renewed by the character of this ancient dance!
IV
“The prodigious little dancer throws her drapery, unfolds it, projects it forward; her back is outlined in perfection.
“She sways, her pride recedes, she is almost defeated.
“She regains position by turning on herself, straightens up.
“She presents one profile, then the other. She has her scarf wrapped around herself, her elbow forward.
“Her scarf envelops her; her hand on her hip, she lets the scarf hang.
“Both hands now on her hat, the winning smile, she is a proud caryatid.
“These reflections on herself, this tilted hat, this cross drapery, she finally puts all these charming things on as if in battle!
V
“She now unwinds her scarf and lets it fall.
“Then the arms and the scarf pass quickly, madly in front of his heart.
“Rapid gestures delight with their perpetual, incessant repetitions.
“Gestures when repeated cause flames.
“She dances !…”
Tags: French artists, Royal Ballet of Cambodia, dancers, Cambodian dance, King Sisowath, women
About the Author
Gustave Coquiot
Gustave Coquiot (24 Sept 1865, Puits, France – 6 June 1926, Paris) was a French art critic, writer and dramaturgist who befriended major artists of his time, including Auguste Rodin – to whom he served as private secretary –, Pablo Picasso, Paul Matisse. Toulouse-Lautrec, Pierre Bonnard, Paul Cézanne.
He was also a noted collector of works by Maurice Utrillo.
Publications:
- Les Féeries de Paris (Dessins de R. Carabin.)
- Les Soupeuses (Dessins de George Bottini.)
- Le vrai J.-K. Hüysmans, 1912.
- Le vrai Rodin, 1913.
- Cubistes, Futuristes, Passéistes.Essai sur la Jeune Peinture et la Jeune Sculpture. With 48 reproductions, Paris, 191. 5th édition: Ollendorff, Paris, 1920
- Rodin
- Henri de Toulouse-Lautrec
- Rodin a l’hotel de Biron et a Melun, 1917.
- Les Pantins de Paris (Avec dessins de Forain.)
- Pierre Bonnard
- Vagabondages, illust. by Henri Epstein, 1921.
- Paul Cézanne, 1923.
- Vincent Van Gogh, 1923.
- Georges Seurat, 1924.
- Renoir, 1925.
- Des Gloires déboulonnées, with 16 reproductions new edition 1927, André Delpeuch publisher.
Theatre (himself or in collaboration) - M. Prieux est dans la salle!
- Deux heures du matin… quartier Marbeuf (Théâtre du Grand-Guignol), 1904.
- Hôtel de l’Ouest… Chambre 22 (Théâtredu Grand-Guignol), 1904.
- Sainte Roulette (Théâtre Molière), 1905.
- L’Ami de la justice, comedy in 1 act, 1908.