Au coeur du pays khmer: notes cambodgiennes

by Adrien Pannetier

Notations on Cambodian daily life, politics and mores collected in 1917-1918 by a French "country doctor".

Pannetier notes 1921

Type: on-demand books

Publisher: Payot, Paris

Edition: Reedition CEDORECK, Paris, 1983 (digitized).

Published: 1921

Author: Adrien Pannetier

Pages: 153

ISBN: 2-86731-002-4

Language : French

ADB Library Catalog ID: eHISPAN1

Without the literary genius yet with the same empathy of young Anton Chekhov describing the predicament of the "little people", the author, initially a country doctor, added to the usual pessimistic view on the Cambodian nation displayed by French administrators at the time a dose of genuine sympathy, and some harsh judgement of a brutal and insensitive colonial administration: 

Jeté au Cambodge, il y a seize ans, par les hasards de ma carrière coloniale, j'ai parcouru son sol aux ruines évocatrices. Médecin de campagne, je me suis penché sur les misères de ses habitants, les Khmèrs, humbles descendants des glorieux édificateurs d'Angkor. J'ai ressenti, à leur sympathie, l'infinie désespérance des races vaincues, résignées aux coups du Destin. L'inanité de toute plainte, le sentiment aigu de cette vérité que le
vainqueur forge l'Histoire, n'est-ce point là le véritable et secret martyre du vaincu ? Et l'image d'Henri Mouhot  «comparant les teintes que la nuit efface dans le paysage à celles de la vie de peuples, quand la gloire et l'espérance cessent de lui prêter la magie de leurs couleurs », ne m'a jamais paru plus suggestive qu'en écoutant de leurs lèvres les récits merveilleux de leur passé légendaire. Des émotions éprouvées, des faits observés, médités, procèdent les « Notes » que je crois utile de publier aujourd'hui.

A portrait of Minister of the Palace Thiounn Veang

Refraining from naming him once, the author traces an uncompromising portrait of Minister of the Palace Thiounn Veang, contrasting his political longevity with the procession of short-lived 'résidents-supérieurs' of the French Protectorate [Chapter IV, Notre politique indigene - notre agent de liaison, pp 45-51]: 

Un unique personnage tient en quelque sorte toute la scène depuis quelque vingt ans. J'ai cité le Ministre du Palais. On peut dire, en effet, que depuis les dernières années du règne de Norodom (vers 1898), le pays a été de plus en plus étroitement entre ses mains. Seul permanent dans l'impermanence des Résidents supérieurs, il a su se maintenir au pouvoir malgré quelques graves vicissitudes, et sa puissance est allée en grandissant à mesure que celle du Roi, sous notre influence, diminuait. Ancien interprète, imposé d'abord à Norodom (comme Secrétaire général du Conseil des Ministres) pour les commodités de notre Protectorat, cet intermédiaire a vu sa fortune s'accroitre en quelques années dans des proportions qu'il n'aurait jamais osé lui-même concevoir. On sait que, sur la fin de son règne, Norodom avait été totalement écarté de la direction des affaires (voir « l'affaire Yukanthor») et que Sisowath ne fut jamais qu'un pauvre symbole, bien sympathique d'ailleurs.

"Notre Ministre cambodgien appuie sa souveraineté : 1° sur notre propre instabilité administrative — on a pu compter 14 Résidents Supérieurs ou intérimaires dans une période de 18 ans —, 2° sur notre principe politique du moindre effort, qui fait loi ici encore plus qu'ailleurs, et qui se résume d'un mot : « pas d'affaires», 3° sur l'étanchéité croissante entre administrateurs français et administrés indigènes, qui a été s'accentuant depuis une vingtaine d'années, et s'est manifestée d'une façon éclatante lors des troubles récents (1916) notamment, quand les 100.000 manifestants, ignorant politiquement les Français — sans haine, mais sans affection — n'avaient dans la bouche qu'un mot : « Luong », le Roi. C'est le Roi seul qu'ils voulaient voir, le Roi seul en qui ils plaçaient leur suprême confiance. Le fait fut tout à fait frappant. Il ne fut pas un instant question de nous... pauvres formes éphémères ! Nous ne comptâmes pas.

"Une trentaine de mille parvinrent jusqu'à la capitale, du 5 janvier au 24 février 1916 C'est le Roi Sisowath, malgré ses 77 ans, qui, on peut le dire, a sauvé la situation, au cours de cette période critique. On ne rendra jamais assez hommage à sa vaillante intervention. Intelligent, avisé, souple, travailleur, parlant français — son grand mérite au début — notre Ministre cambodgien a su se rendre indispensable aux administrateurs superficiels et instables que nous sommes. C'est, en quelque sorte, un grand fermier, un comprador politique, qui, moyennant la tranquillité, le «pas d'affaires » qu'il garantit à notre Représentant au Cambodge, administre le pays pour son compte. Il représente un organe récent de notre création, greffé par nous-mêmes sur le tronc vermoulu du vieux « Kampouchéa », et qui s'est bientôt hypertrophié démesurément en balancement de notre faiblesse (Incarner un peuple dans un homme est hasardeux, essentiellement antidémocratique et nul ne songerait à identifier l'intérêt de la France avec celui du fonctionnaire de passage qui la représente au Cambodge (quelque éminent qu'il puisse être). Mais comment imaginer que l'intérêt du Royaume se puisse ainsi confondre avec celui d'un Ministre, cambodgien d'étiquette seulement?) D'esprit pratique, de caractère positif, appliquant le plus clair de ses qualités au soin de ses propres affaires, il a naturellement tiré un merveilleux parti personnel d'une situation dont il fut le premier stupéfait sans doute, mais qu'il tend à perpétuer maintenant, perfectionnant chaque jour son double jeu entre le Roi et le Résident français, peuplant les postes de choix de ses parents, de ses clients, soignant jalousement l'étanchéité pour lui vitale, poussant toujours plus avant ses racines dans la chair vive de l'arbre nourricier.

"Et il est devenu plus riche que le Roi ; il est, sans contredit, le plus riche du royaume. Et il a su se créer de si puissants appuis, que, le jour où notre Résident supérieur descendit à Saigon, en 1912, avec tout un dossier à sa charge, fermement décidé à se passer de ses services, ce dernier se heurta à une force supérieure... L'inculpé était promu officier de la Légion d'honneur. Son prestige y gagnait dans la mesure qu'on devine : il avait le dessus, il avait été plus fort. que le représentant de la France au Cambodge, il venait d'être le maître du jeu encore une fois — c'est ainsi que raisonne l'indigène. — Et, en fait, c'est bien lui le Maître ; les autres Ministres ne comptent pas ; les princes et le vieux Roi, tout le premier, muets et résignés, tremblent devant lui.

"Il y aurait un volume entier à écrire sur le martyrologe moral de l'auguste vieillard, dominé, enveloppé dans tous les actes même de sa vie domestique par ce double (et ses agents), qui a finalement substitué sa propre personnalité à celle du Monarque. Comment le public cambodgien pourrait-il oublier l'adultère sacrilège à bord de l'Amiral-Ponty, au retour de France de Sa Majesté Sisowath — le flagrant délit avec la favorite Royale! — Et que ce crime de lèse majesté par excellence, dont la mort sans jugement faisait naguère justice, ne parut pas justifier la simple destitution du coupable exigée par sa Majesté réintégrant Sa Capitale ! Des excuses furent estimées suffisantes par notre Représentant. Calculé pour affirmer et proclamer à tous les sujets du Royaume l'omnipotence définitive du puissant personnage, le coup n'eût certes pas mieux réussi!

"Un Résident Supérieur lui résisie-t-il, il cède et plie aussitôt — c'est à peine quelque temps de perdu — et, dès l'arrivée du successeur, il revient à la charge. Le cas suivant d'un fonctionnaire de ses parents est topique. Précipité par notre Représentant en 1911 (dans des conditions telles que le Roi, dans l'exubérance de sa joie d'une pareille mesure, et en signe de remerciement, tira sur le champ une de ses bagues pour la passer au doigt du Résident Supérieur), ce même fonctionnaire revient sur l'eau, en 1915, avec avancement. Un prédécesseur le renversa, le successeur le porte aussitôt au pinacle! Une voix sincère osa cependant s'élever en plein Conseil des Ministres (inspirée des tévadas — les anges —, dit la rumeur) contre un semblable choix. Elle fut, d'ailleurs, sévèrement rappelée à l'ordre (verbalement, puis par lettre). Remarquons, en passant, combien une incohérence de ce genre — elle n'est pas unique, mais celle-là eut un grand retentissement dans le pays — est propre, tout en fortifiant la position de notre fermier, à ruiner précisément la nôtre — celle dé la France —, à ébranler la confiance en nous des indigènes, prompts à s'orienter vers le plus fort. Comment les anciens témoins à charge ne trembleraient-ils pas aujourd'hui (Il ne saurait, en effet, être question d'opinion publique au Cambodge. La presse, son expression moderne, y est inconnue. A noter l'installation à Pnom-Penh, en février 1918, des succursales bihebdomadaires de deux quotidiens saïgonnais, sans contact avec les populations. Vers 1913-1914, il avait existé également un organe local, d'éphémère durée)? Et quelle exemplaire leçon pour tout le monde! Le peuple Khmèr, qui est ce que le milieu géographique et historique l'a fait, traduit ce qu'il observe dans le sens de sa tradition : « Tùk tou, hompong non », dit son proverbe, « la barque passe, la berge reste »; la barque, en l'occurrence, c'est nous : aux yeux de l'indigène, nous sommes essentiellement des gens qui passent."

A Memorable Screening: Le Bain de la Parisienne

Depuis plus d'un mois, le poste de N., perdu dans la brousse, vit dans l'attente d'une attraction sensationnelle, inédite: le passage prochain d'un cinématographe. L'opérateur, qui enregistre en même temps des vues, sujets et scènes exotiques, s'est fort astucieusement placé sous les auspices du Résident de France, seul capable de lui garantir les moyens matériels d'accès et d'exécution, et dont il escompte le tout puissant concours pour le succès de sa tournée: locations, réquisitions d'éléphants et autres moyens de transport, invitations aux autorités villageoises d'avoir à stimuler l'affluence de leurs administrés, etc... Ici, les moindres désirs du maître sont des ordres.

"Aussi y a-t-il foule le soir de la première représentation. Aux yeux du Cambodgien, toute fête revêt plus ou moins un caractère sacré. Comme aux jours des grandes solennités bouddhiques, à la pagode, une multitude originale et bariolée se presse sous la galerie du Grand Marché, transformée en théâtre pour la circonstance, avec une estrade de fortune réservée aux Français de la Province — une quinzaine de fonctionnaires, quelques dames — ainsi qu'aux mandarins, secrétaires, interprètes des diflérents services, et à leurs familles. A noter, parmi ces dernières, le groupe intimidé des six femmes du Gouverneur cambodgien, aux chatoyantes écharpes, aux riches « sampot » de soie raidie d'orfroi. telles les « apsaras » des bas-reliefs millénaires.

"La lumière s'éclipse soudain sur un film qui fut dans la journée « particulièrement recommandé à Messieurs les Européens du Poste » : Le bain de la Parisienne. Les gradins saluent d'une longue acclamation ce titre suggestif.
Alors se succèdent les différents jeux scéniques de l'exhibition : celui du dévêtissement progressif et pervers..., auquel fait suite celui du demi-nu en chemise — une épaule aperçue se recouvrant pour affranchir un sein —... puis celui du déchaussage alterné sur la chaise, en postures opposées et variées... Chacun souligne de réflexions à haute voix, d'exclamations ondulées, les attitudes lentes, calculées... penchées de plus en plus..: «Plus haut » !... « Non ! plus bas ! »... Enfin, l'étoile brille, resplendit dans son entière nudité, superbe d'impudicité savante..., le bain va commencer... A ce moment éclatent sur l'estrade bravos et applaudissements à tout rompre. Là-haut l'enthousiasme confine au délire. Cependant qu'en bas, dans le grand hall, sur les bancs indigènes, un silence morne, glacial, absolu, contraste de stupéfiante manière avec tout ce vacarme d'un petit nombre. Et cette attitude non concertée d'une foule que je sais trop respectueuse pour être méprisante, me révélait tout à coup dans les ténèbres l'abîme séparant les deux groupes de spectateurs (Autant le Chinois sait se montrer dédaigneux vis-à-vis du barbare (tout ce qui n'est pas chinois), autant l'Annamite est volontiers sarcastique et gouailleur, et autant le Cambodgien au contraire, Hindou d'éducation, est élevé à être respectueux et impassible en toutes circonstances).

"Bientôt, le public est rendu à l'éblouissante clarté. Attentive à son chef de province, qui bisse le premier la séduisante apparition, la colonie blanche, telle une réunion de collégiens, fait chorus, trépigne, claque des mains... tandis que commencent à circuler les rafraîchissements offerts par la Résidence...Mais voilà que quelqu'un a remarqué la place vide des six femmes du Gouverneur, ainsi que de toutes leurs compagnes indigènes. Et les rires d'exploser !...Et les quolibets et les lazzis d'accabler ces « bégueules » asiatiques. Cependant, le voile de l'obscurité retombe sur l'assistance, et déjà le diabolique engin, qui détaille inlassablement l'indécence occidentale, qui colportera la même honte encore indifféremment au coeur de l'Asie comme au centre de l'Afrique, s'est remis à passer sur l'écran le thème pornographique demandé qui sait?...peut-être « made in Germany ». (1920)

Le Bain de la Parisienne (The Parisian Lady's Bath), a short film (1:33) released by Pathé Freres in 1897 but produced by Eugene Pirou in 1896, was not premiering that day of 1920 in Phnom Penh: publicist Alfred Raquez has reported a special screening at King Norodom's Royal Palace in 1898, with the sovereign. Was it Pirou's 'oeuvre', or "Georges Méliès’ notorious 1897 film Après le bal, le tub, also known as Le Bain de la Parisienne,  which also depicts a lady being bathed by her maid, notable for being the first film to depict full nudity, even though the actress Jehanne d’Alcy, later Méliès’ wife, used a body stocking to preserve her modesty"? [see P. Gibson and A. Bruthiaux's article in the Mekong Review.]

Chap 1: Le Pays Khmèr. Les Khmèrs dits Cambodgiens p 11
Chap 2: Le fonctionnaire indigène  p 32
Chap 3:  La question Chinoise p  38
Chap 4:  Notre politique indigene. Notre agent de liaison p 45
Chap 5: Considérations économiques p 52
Chap 6: Considérations sociologiques p 63
Chap 7: Conclusions p 79
Commentaires sur: Civilisations (103), Adaptation (109), Art (111), Religion (116), Ethique spéciale (121), Société, Lois, etc... (123), Prestation (132), Réquisition (133), Esclavage (135), Opium-Alcool (139), Incompréhension (143).

Tags: French writers, French doctors, Protectorate, Modern Cambodia, public health, healthcare, customs, cinema

About the Author

Pannetier notes 1921

Adrien Pannetier

Dr. Adrien Louis-Marius Pannetier (1873, Bordeaux, France -19??), a French colonial administration physician ('médecin titulaire de l'Assistance médicale') in Cambodia in the years 1900s, undertook numerous linguistic, anthropomorphological, sociological researches during his stay in French Indochina and Cambodia.

Often "critical of the Protectorate system", according to Penny Edwards, Dr. Pannetier attempted to define a Khmer morphological type, contributed actively in improving public health, yet also authored a substantial Lexique Francais-Cambodgien វចនានុក្រមបារាំង-ខ្មែរ Lexicon French-Khmer, collected proverbs and folktales, and left insightul observations in his Au coeur du pays khmer - notes cambodgiennes, completed in Saigon in 1918 and published in 1921.

Also by Dr. Pannetier:

1906. PRESCRIPTIONS D'HYGIÈNE A L'USAGE DES CAMBODGIENS (texte Khmèr). Pnom-Penh. Imp. du Protectorat.
1907. LEXIQUE FRANÇAIS-CAMBODGIEN. Auzac et Augier, Avignon.
1914. CONFÉRENCES D'HYGIÈNE A L'USAGE DES CAMBODGIENS (texte français et texte Khmèr). Imp. du Protectorat.
1916. SENTENCES ET PROVERBES CAMBODGIENS. Hanoï, B. E. F. E. O. Imp. de l'Ecole Française d'Extrême-Orient.
1921. CONTRIBUTION A L'ÉTUDE DES CAMBODGIENS (en collaboration avec M. le D Verneau, professeur au Muséum). Revue « l'Anthropologie ». Paris.